2013 est l’année du centenaire d’Aston Martin.
Un des plus anciens constructeurs encore en activité, l’entreprise fabrique depuis près d’un siècle des automobiles sportives dont l’image a toujours été très différenciée de celle de ses principaux concurrents.
Une autre constante d’ailleurs dans l’histoire d’Aston Martin, c’est l’opiniâtreté avec laquelle les différents propriétaires (il y en eut quelques uns…) se sont acharnés à maintenir l’entreprise à flot. Dans des contextes économiques difficiles, fabriquer des voitures de sport relève souvent de la gageure et se résume, la plupart du temps, à une aventure industrielle ou artisanale sans lendemain.
Des marques qui ont fait rêver les générations de nos grands parents et de nos parents ont ainsi disparu dans les oubliettes de l’histoire depuis longtemps ou n’existent plus qu’au travers des clubs de propriétaires qui les maintiennent sur la route ou dans les musées. Aston Martin, en dépit des vicissitudes qui n’ont pas manqué, est une marque toujours bien présente et qui reste fidèle à une vieille tradition d’excellence typiquement britannique reposant sur une ingénierie innovante qui ne renie pas l’héritage de la tradition.
David Brown restera le premier qui aura su donner une dimension quasiment industrielle à l’entreprise. En 1947, après avoir lu la petite annonce de la mise en vente d’une marque d’automobiles de sport, il est le premier surpris de découvrir qu’il s’agit d’Aston Martin. Et pour se faire une idée plus précise du potentiel de ce qu’il rachète, à part des machines-outils obsolètes et quelques châssis inachevés qui traînent au fond des ateliers de Feltham, il part rouler quelques kilomètres au volant d’un prototype non terminé et développé pendant la guerre par Claude Hill, l’Atom. C’est la modernité des solutions mises en œuvre sur cette voiture qui le décidera à racheter Aston Martin.
En 1947, alors que l’Europe peine à se relever des ravages causés par la guerre, l’Atom, point de départ d’une lignée apparue avec la DB2, représente en quelque sorte l’héritage de ces quelques 34 années passées depuis la création de la marque en 1913.
Les lignes qui suivent tentent de retracer cette période, moins prolifique dans l’histoire de la production d’Aston Martin, mais qui fut déterminante dans la constitution de son ADN.
Bamford & Martin
Robert Bamford est né en 1883. Fils de pasteur, c ‘est surtout un passionné de mécanique qui a reçu une formation d’ingénieur. A l’heure où l’automobile n’est encore qu’un hobby pour original fortuné, il a déjà construit sa propre voiture à partir d’éléments pris de droite et de gauche.
L’autre brique de l’édifice s’appelle Lionel Walker Birch Martin. Il est né en 1878 dans une famille aisée du secteur minier et, conforme à l’image traditionnelle du gentleman britannique, il a fait ses études à Eaton mais participe déjà à nombre de compétitions automobiles locales.
Les deux hommes, amateurs de vélo, se connaissent depuis 1905, année où ils se sont rencontrés au sein d’un club d’amateurs. Le 15 Janvier 1913, ils fondent la société Bamford & Martin Limited. Son objet social initial repose principalement sur la vente d’automobiles de marque Singer pour l’ouest de l’Angleterre.
Les deux associés avaient compris dès le départ de leur association que la compétition automobile était un bon moyen d’améliorer l’image de marque et les ventes de leurs voitures et, après modifications, les Singer furent engagées dans des courses. En juin de cette même année, à la course de côte de South Harting, pas très loin de Goodwood, Lionel Martin arriva ainsi second sur une de ses Singer modifiée derrière un certain Archibald Frazer Nash.
Bien que plus lente, la Singer était très moderne pour son époque, dotée d’un quatre cylindres de 1100 cc à soupapes latérales, sa boîte de vitesse était accolée au différentiel et elle était suffisamment légère pour courir dans la catégorie des cycle-cars.
L’année suivante, Lionel Martin s’engagea en avril 1914, dans la course de côte d’Aston Hill qui partait du petit village d’Aston Clinton près d’Aylesbury. Bien que légère, la 10 cv Singer modifiée ne pouvait pas lutter équitablement contre la 12 cv V-twin Buckingham qui gagna cette année là et Lionel Martin arriva second à 3,8 sec du vainqueur. Pourtant, au jeu des handicaps utilisés par le Hertfordshire County Automobile Club, c’est la Singer qui fut déclarée vainqueur et l’on peut dire que le nom d’Aston Martin, s’il ne fut pas immédiatement adopté est né ce jour là. En effet, Lionel Martin, cherchant un nom de baptême plus tard pour ses voitures, se souvint de la course de côte d’Aston Clinton et, son épouse insistant pour qu’il choisisse un nom apparaissant dans les premières pages de l’annuaire, décida d’associer le nom de la petite commune à son patronyme. La première voiture à porter le nom d’Aston Martin vit ainsi le jour en 1915.
Le dernier weekend end de juin, la petite Singer remporta la course de côte de Caerphilly cette fois, en temps réel et au handicap.Conscients que les possibilités de développement sur base Singer étaient limitées et, surtout désirant construire leur propre voiture, Lionel Martin et Robert Bamford se remirent au travail. Robert Bamford adapta alors un moteur Coventry Simplex (un lointain ancêtre des Coventry Climax) sur un châssis Isotta Fraschini 1908. Comme la guerre semblait devoir durer, les projets de mises en production furent mis temporairement en sommeil mais la voiture fut activement testée pendant les années suivantes et elle devint célèbre sous le nom de « Coal Scuttle », le seau à charbon.

La voiture ci-dessus est un l’un des deux exemplaires construits en 1922 pour le comte Zborowski destiné à participer au Tourist Trophy de l’Ile de Man. Bien que non prête pour cette épreuve, elle participa au Grand Prix de Strasbourg de la même année. C’est la plus ancienne Aston Martin de compétition encore en circulation et comme on peut le voir sur la photo de droite, elle court toujours. Elle est plus connue sous le nom de « Green Pea », le petit pois.
Robert Bamford quitta l’entreprise en 1920, les projets de Lionel Martin de construire une voiture en série ne lui convenant pas. Il fut remplacé par un condisciple de Lionel Martin à Eaton, le comte Louis Zborowski, personnalité haute en couleurs qui dépensait sans compter la fortune que son père avait gagné à Wall Street. C’était un original, il avait fait équiper un châssis de Mercedes d’avant-guerre avec un moteur d’avion Maybach de 23 litres. Les pétarades du monstre lui inspirèrent un nom qui restera dans les annales de l’histoire automobile « Chitty-Bang-Bang ».
Divers moteurs seront essayés dans le courant des années 20 et H.V. Robb, qui a rejoint la société et qui a conçu le Coventry Simplex, dessine un moteur 1,5 l 16 soupapes à arbre à cames en tête. Mais la voiture équipée de ce dernier moteur et pilotée par le comte ne parvient pas à battre une Aston Martin équipée de l’ancien moteur à arbre à cames latérales. Finalement, après de nombreux essais*, et notamment celui d’un moteur Peugeot double arbre à 16 soupapes, Lionel Martin revint au moteur des origines à arbre à cames latéral, léger et fiable. Il fut monté sur une Aston Martin qui contribuera activement à la renommée de la jeune entreprise sous le nom de « Bunny » puisque cette dernière, le 24 Mai 1922 battit sur l’anneau de Brookland, en 16h et demi, pas moins de dix records du monde à la moyenne de 122 Km/h.
*Pour être précis, le dessin original de Robb avait été considérablement modifié dès 1922. A la suite de sa tentative, infructueuse, de concevoir un moteur simple ACT, Le comte Zborowski, avec l’aide de Clive Gallop, fit appel à un français, Marcel Grémillon qui, sur la base d’un 8 cylindres en ligne Ballot, conçut un 4 cylindres double ACT et 16 soupapes. Les chambres de combustion (cause du mauvais rendement du Robb 1.5l) ont été redessinées et les arbres à cames sont entraînés par une cascade de pignon depuis le vilebrequin. Le bloc et la culasse sont toujours d’une seule pièce mais montés sur le carter du Robb. Bien que de cylindrée équivalente à la version « latérale », ce 1486cc développait 55hp et autorisait une vitesse de pointe de plus de 140 km/h.
Malheureusement, Louis Zborowski se tua le 19 Octobre 1924 au Grand Prix d’Italie à Monza, il avait 29 ans. Sa disparition mis sans doute aussi en avant la situation réelle de l’entreprise, trop de courses et pas plus de 1 à 2 voitures fabriquée chaque mois. En effet, 60 voitures seulement seront fabriquées de 1914 à 1925.Aston Martin apparaît pour la première fois comme exposant au Motor Show de 1925 mais il est déjà trop tard, d’autant plus que la voiture est proposée au prix, astronomique pour l’époque, de 625 £.
Au mois de Novembre de la même année, l’entreprise est déclarée insolvable et dépose son bilan. Lionel Martin se retire de l’entreprise et décide de se consacrer à son autre passion, le vélo. C’est ce dernier qui lui coûtera la vie puisque le 14 Octobre 1945, rentrant chez lui sur un tricycle, il est victime d’un accident de la circulation qui lui sera fatal.
1,5 litres Première série : « International »
Après le dépôt de bilan de 1925, John Benson, futur Lord Charnwood, qui avait déjà des intérêts dans Aston Martin conjointement avec le comte Zborowski, se retrouva seul actionnaire de l’entreprise. Il se rapprocha alors d’Augustus Cesare Bertelli. « Bert » Bertelli, ainsi qu’il avait coutume de se faire appeler, était né en Italie en 1890 et, arrivé en Grande Bretagne à l’âge de 4 ans, il se considérait comme britannique.
Il avait bien connu Lionel Martin lors de ses années de courses et il disposait d’une expérience approfondie en matière d’engineering automobile.
Avec William Renwick, un ancien apprenti de chez Armstrong Siddeley, ils avaient fondé la société « Renwick & Bertelli ltd ». Ils avaient alors conçu un moteur d’1,5l à quatre cylindres et arbre à cames en tête qui avait été installé dans un châssis d’Enfield-Alldays, firme dont Bert Bertelli avait été directeur général. Un de leurs premiers employés s’appelait Claude Hill et avait activement participé à la mise au point de ce moteur. Claude Hill présidera à la conception des moteurs chez Aston Martin jusqu’en 1947.
En Octobre 1926 John Benson, qui n’avait pas d’affinités particulières avec la conception des voitures de sport, vendit ses intérêts dans Aston Martin au tandem Bertelli Renwick mais continua de faire partie de l’entreprise.
Ces derniers avaient eu tout d’abord l’intention de simplement vendre leurs moteurs à l’industrie automobile britannique mais, rapidement, l’idée était venue de construire leur propre voiture. Toutefois, en 1926, Aston Martin s’était déjà forgé une réputation solide que Bertelli pouvait d’autant plus apprécier, qu’il avait eu l’occasion de vérifier sur le terrain la qualité des voitures de Lionel Martin les années précédentes. Et plutôt que de repartir de zéro, les deux hommes jugèrent préférables de capitaliser sur une image de marque établie.
Disposant d’un peu de capital, les nouveaux propriétaires déménagèrent de Birmingham et louèrent un atelier sur Victoria Road dans la petite ville de Feltham dans le Middlesex et fondèrent la société Aston Martin Motors Limited.
Le frère d’Augustus Cesare, Enrico et communément dénommé « Harry », et carrossier de son état, suivit le mouvement et s’installa non loin dans la même rue.
Les années Bertelli seront marquées par l’excellence de l’engineering présidant à la fabrication de leurs automobiles. Les années trente resteront d’ailleurs celles où l’alliance entre Bert Bertelli et son frère « Harry » donnera ainsi naissance à quelques unes des plus belles voitures de compétition de l’entre deux guerres. Ces années là seront aussi marquées par l’instabilité financière chronique qui accompagnera longtemps l’entreprise.
La nouvelle entreprise se mit rapidement au travail et au Motor Show de 1927 la nouvelle gamme fut présentée. Les voitures étaient dorénavant équipées du moteur « Bertelli Renwick » développé par Claude Hill, 1,5 litres simple ACT qui s’avèrera la base de développement d’une lignée qui perdurera jusqu’à la fin des années 40. Le moteur 1495 cc développe 56cv et permet à la voiture d’atteindre 130 km/h. La filiation avec le moteur Robb est désormais rompue et il s’agit d’une toute nouvelle voiture. Elle est disponible en deux versions, la « T » ou conduite intérieure et la « S », version sportive, cabriolet construite sur un châssis surbaissé et raccourci.
Bert Bertelli a toujours pensé que la légitimité d’un constructeur de voitures de sport passe par la course automobile, et ce, pour une simple raison, la recherche visant à rendre les voitures compétitives sur la piste finit immanquablement par bénéficier aux modèles de série vendus au public. « Racing improves the breed », dit l’adage qui restera longtemps le mot d’ordre chez Aston Martin et sera activement mis en pratique par David Brown lui-même après la guerre.
En 1928, Bert Bertelli décide donc de construire deux prototypes d’usine, LM1 et LM2.
Une des modifications les plus importantes fut d’équiper le moteur d’un système de lubrification à carter sec, une caractéristique qui perdurera sur toutes les Aston Martin de course jusqu’à la fin des années 30. De 63 cv à 4750 tr/mn le moteur d’ 1,5 litre passera à 85 cv à 5250 tr/mn en 1935. Cette première génération de voitures de compétition voit l’apparition du modèle « International »en 1929. Elle sera équipée du moteur à carter sec mis au point en compétition. On les différencie des modèles ultérieurs par leurs différentiels à vis sans fin et leurs boîtes de vitesses séparées.
Dès 1928, Aston Martin s’engage dans un programme actif de compétition et la renommée grandissante des 24 heures du Mans conduit rapidement Bert Bertelli à engager ses voitures lors de l’épreuve Mancelle.
Jusque dans les années 60, il était d’usage que les voitures gagnent leur lieu de course par leurs propres moyens. Aston Martin ne fit pas exception à la règle. Bien qu’ayant cassé les ponts arrières de leurs autos sur les routes mal revêtues de l’époque près d’Alençon, les voitures se comportèrent honnêtement. Aucune ne termina, mais l’écurie Aston Martin gagna le prix spécial Rudge-Whitworth, doté d’un prix de 1000£, réservé à la voiture de la classe 1500cc la plus rapide lors des 20 premiers tours. C’était un début prometteur d’autant plus que Bert Bertelli lui-même était au volant de l’une des deux voitures.
Faisant l’impasse sur les 24H de 1929, Aston Martin s’engage aux « Double 12 hours Race » à Brookland cette même année. Bert Bertelli amena sa voiture à la cinquième place du classement général et à la troisième de la catégorie 1500cc. Quelques semaines plus tard, la même voiture, toujours conduite par Bert Bertelli, finit 9ème au Grand Prix de Phoenix Park en Irlande. Jack Bezzant, équipier de Bert Bertelli, finit la saison sur abandon au Tourist Trophy en Irlande.
La saison 1930 ressembla à la précédente, une quatrième voiture, LM4, fut engagée à Brookland et, toujours pilotée par Bert Bertelli, améliora les résultats de l’année précédente puisqu’elle se classa 4ème au général et seconde de la catégorie.
Malheureusement, si les résultats sportifs se montrent prometteurs, les ventes ne suivent pas et, rapidement, Aston Martin se retrouve confronté à des difficultés financières. La situation économique est préoccupante et la crise de 1929 commence à faire sentir ses effets en Grande Bretagne.
Qui plus est, deux de ses bailleurs de fonds, John Benson et William Renwick, ont quitté l’entreprise dès 1929 et Bert Bertelli, réorganisant l’entreprise sous le nom d’Aston Martin ltd, cherche activement un partenaire qui se présente sous le nom de H.J. Aldington, déjà propriétaire de Frazer Nash. Ce dernier prend le contrôle des ventes d’Aston Martin en en devenant le distributeur exclusif mais il permet surtout à Bert Bertelli de financer le développement de trois voitures d’usine supplémentaires, LM5, LM6 et LM7.
Equipées d’une culasse autorisant un taux de compression 9:1, elles développent 90cv.
Les voitures participent activement aux compétitions de 1931, « Double 12 » à Brookland, « Tourist Trophy » en Irlande et « 24H du Mans ». Dans la première, les deux Aston Martin finissent 6ème et 16ème et sont surtout les seules voitures de leur catégorie à franchir la ligne d’arrivée. Au Mans, Bertelli finit à la cinquième place, renforçant ainsi la réputation de fiabilité et de rapidité de ses voitures. Et ce, d’autant plus que la voiture arrive derrière des concurrentes dont la plus « petite » est la Talbot 3 litres de Fox et Nicholl. Enfin, cette cinquième place qualifie la voiture pour la finale de la neuvième Rudge-Whitworth Cup l’année suivante.
Fait remarquable, les éditions 1929, 1930 et 1936 mises à part, Aston Martin participera à toutes les éditions des 24H du Mans jusqu’en 1964.
Au Tourist Trophy enfin, les voitures ne purent faire mieux que 14 et 18ème mais finirent première et seconde de leur catégorie.
Ainsi se termina la saison 1931, contrastée dans ses résultats, mais révélant le potentiel sportif des voitures développées par Bert Bertelli.
LM5 et LM7 furent vendues à la fin de la saison, LM6 servant alors de banc d’essai pour des essais de compresseurs qui eurent lieu chez Tim Birkin à Welwyn. Cette tentative d’Aston Martin « blower » restera sans suite, le pont arrière encaissant mal le couple supplémentaire.
1.5 litres deuxième série – « New International » « Le Mans »
Dans le même temps, la conjoncture reste tendue et H.J. Aldington dont l’ambition était de faire d’Aston Martin un concurrent de Rolls Royce, décide de jeter l’éponge. Bertelli convainc alors Lance Prideaux-Brune, concessionnaire londonien et propriétaire de Winter Garden Garages de prendre le relais. Le constat est rapidement effectué, les Aston Martin sont des voitures performantes et fiables mais, bien que les résultats en course soient là, elles coûtent cher à fabriquer et, par conséquent, les clients ne se bousculent pas. 130 exemplaires seulement ont été vendus en cinq ans. La solution, simple, consiste à abaisser les coûts de production.
Pour ce faire, Aston Martin décide d’adopter des composants de série ne remettant pas en cause les capacités sportives de ses voitures. Bert Bertelli redessine ainsi le châssis de l’International en l’équipant d’une boîte de vitesse Laycock et d’un différentiel à engrenage conique conventionnel, celui à vis n’ayant jamais complètement donné satisfaction. Bien que la carrosserie dessinée par Harry Bertelli ait été la même, il s’agit d’un modèle entièrement nouveau vendu sous le nom « New International ». Pour l’anecdote, c’est sur ce modèle qu’on voit pour la première fois apparaître le logo ailé de la marque sous sa forme contemporaine.
La voiture est effectivement bien moins cher puisqu’en en février 1932, la New International est proposée au prix de 475£ alors que le modèle International type Le Mans de 1931 coûtait 650£. En parallèle, Aston Martin propose une version de tourisme sur un châssis 30 cm plus long. On la reconnaît généralement sous le nom « Standard » ou « 12/50 ».
Pour la saison 1932, Bert Bertelli construit trois voitures, LM8, LM9 et LM10. Elles sont radicalement différentes des voitures d’usine de 1931, beaucoup plus basses et étroites leur radiateur est en V prononcé. Initialement prévue pour courir aux 1000 miles de Brookland, les tractations entre Aldington et Prideaux-Brune prenant plus de temps que prévu, les voitures ne furent terminées que quelques jours avant la course.
La décision fut prise d’annuler l’engagement pour se concentrer sur les 24 heures du Mans qui étaient devenus l’épreuve de référence. Toutefois, Mortimer Morris-Goodall, pilote privé (futur fondateur de l’AMOC), maintint son engagement et bénéficia du support de l’usine. Il termina l’épreuve après avoir parcouru 988 miles (échouant de peu, puisqu’il fallait en parcourir 1000) sur l’ex voiture d’usine LM7 de l’année précédente qu’il avait rachetée.
Les 24 heures du Mans 1932 furent le théâtre de la première grande victoire d’Aston Martin dans une épreuve internationale. Bert Bertelli arriva 7ème au classement général sur LM8, il était second de sa catégorie et, surtout, remportait la Rudge-Witworth Cup avec son co-pilote Pat Driscoll.
La catégorie était remportée par Newsome et Widengren sur LM10 arrivée 5ème au général.
Pour commémorer ces excellents résultats, Aston Martin mit sur le marché en Octobre de la même année, un nouveau modèle appelé « Le Mans ». La voiture n’a rien à voir avec l’ International « Le Mans » de 1931. Son moteur développe 70 cv et elle atteint plus de 135 km/h. Elle est disponible en deux places, deux/quatre places et quatre places châssis long.
Mais entre temps, la situation financière d’Aston Martin s’est de nouveau dégradée. La course coûte très cher et Aston Martin n’est toujours pas rentable. Lance Prideaux-Brune décide de retourner à son rôle de concessionnaire automobile et cherche un repreneur. Arthur Sutherland, qui a fait fortune dans la construction navale, relève le défi et installe son fils Gordon à la direction générale d’Aston Martin, Bert Bertelli gardant la main sur le département technique et voitures de compétition. Bien que disposant de moyens réduits pour la saison 1933, Bert Bertelli constitua une écurie avec les trois ex voitures d’usine LM7, LM9 et LM10 rachetées ou louées pour l’occasion aux propriétaires privés qui les avaient acquises depuis. Les trois participèrent aux 24 heures du Mans cette année là et arrivèrent cinquième et septième au général et remportèrent les deux premières places de leur catégorie.
La famille Sutherland avait des vues assez précises concernant l’avenir d’Aston Martin et, bien que convaincue du bien-fondé d’asseoir la réputation de la marque par des victoires en compétition, considérait qu’il était grand temps de rentabiliser les investissements consentis en course. Pour ce faire Gordon Sutherland pensait qu’il serait judicieux de mettre sur le marché une gamme d’automobiles moins typée course et dont les passagers pourraient se déplacer dans des conditions de confort améliorées.
1,5 litre troisième série – « Mark II » – « Ulster »
Au Motor show de 1934, les « Le Mans » furent exposées dans des versions améliorées et présentées comme mark II. Les différences visibles concernaient l’adoption d’une calandre thermostatique à lames verticales et la capote était maintenant pliée derrière l’habitacle, dégageant ainsi plus de place pour les passagers arrière.
La carrosserie 2/4 open était la dotation standard mais le châssis était disponible sur empattement long à 3,05m. Ce dernier, autorisant une ligne de caisse plus basse en positionnant les passagers arrière en avant de l’essieu, permet à Harry Bertelli de créer une élégante berline dont les garde-boue intégrés aux roues avant lui confèrent beaucoup de caractère.
Lance Prideaux-Brune, cette année là, avait demandé à Harry Bertelli de lui carrosser spécialement un coupé découvrable à partir d’un châssis long mark II. Le résultat fut si réussi, que Harry Bertelli construisit 6 exemplaires « replica » supplémentaires. Ces voitures occupent une place un peu à part, dans la mesure où, bien que basée sur un châssis standard, elles ne furent jamais vendue par Aston Martin et disponibles uniquement au travers de la concession Winter Garden Garages de Lance Prideaux-Brune.
Gordon Sutherland, comprenant qu’il aurait été dommage de ne pas tirer avantage des bons résultats obtenus, décida de reconstituer une écurie d’usine à part entière pour la saison 1934.
Trois voitures furent construites à la spécification mk II mais avec un châssis deux places dont la roue de secours était placée horizontalement sous l’essieu arrière, ce qui deviendra une caractéristique des Aston Martin de compétition. Les voitures prolongent la séquence précédente avec LM11, LM12 et LM14, il n’y aura pas de LM13, Bert Bertelli, en bon italien d’origine, étant très superstitieux ! Les logerons et traverses de châssis furent percés pour gagner du poids mais, si ce procédé était permis pour les 24 heures, il rendait les voitures inéligibles pour le Tourist Trophy.
Malheureusement, les 24 heures 1934 tournent à la débâcle puisque toutes les voitures abandonnent sur casse mécanique.
Pour courir au Tourist Trophy, LM11 et LM12 furent reconstruites sur des châssis standards et rebaptisées LM15 et LM16. Une troisième voiture, entièrement nouvelle fut adjointe pour compléter l’écurie et pris le n° LM17.
Contrairement à l’habitude, Bert Bertelli délaissa son siège de pilote pour se consacrer à plein à son rôle de directeur d’écurie. Qui plus est, superstition toujours, et sur une suggestion de son épouse qui pensait que le
vert porte malheur, les trois voitures abandonnèrent la traditionnelle couleur verte « british racing green » pour un rouge très italien.
Les rutilantes Aston Martin se présentent ainsi au départ du Tourist Trophy 1934 en Ulster. Et les résultats suivent. Arrivées troisième, sixième et septième au classement général, les trois voitures enlèvent les deux premières places de leur catégorie.
Les voitures furent vendues à la fin de la saison, à l’exception de LM17 qui, aux mains de Clarke et Falkner, participa l’année suivante aux Mille Miglia et à la Targa Abruzzo.
Pour marquer l’évènement, l’Aston Martin de compétition porte maintenant le nom d’ »Ulster ». Elle est vendue 750 £ et grâce à des conduits d’admission polis et deux gros carburateurs elle développe 80cv.
« Les meilleures voitures que j’ai jamais construites ». C’est en ces termes que Bert Bertelli décrivait les trois Aston Martin Ulster d’écurie de la saison 1935. Elles seront les dernières 1495 cc de course produites pour courir. Les modifications comprennent de nouveaux pistons et une culasse modifiée portant le taux de compression à 9:1. Equipé d’un vilebrequin Laystall, le moteur développe maintenant 85cv dans sa spécification de développement ultime.
Le radiateur ainsi que la ligne de capot sont encore abaissés. Logiquement numérotées LM18, LM19 et LM20, les trois voitures d’écurie participent aux 24 heures du Mans 1935.
Aston Martin ne passe pas loin du triomphe puisque LM20, pilotée par Charles Martin et Charles Brackenbury, arrive troisième au général mais emporte la première place de la catégorie 1500 et remporte la Rudge-Withworth Cup. LM18, pilotée par James Elwes et Mort Morris Goodall, arrive cinquième de la catégorie. Cette édition des 24 heures met particulièrement en lumière les performances du constructeur.
En effet, d’une part la petite Aston arrive troisième, 10 km derrière une Lagonda M45 (4.4l 6 cylindres) et une Alfa 8C (2.3l 8 cylindres), mais en plus, sur les 12 premières voitures classées, 5 sont des Aston Martin. Les voitures participent ensuite au Tourist Trophy avec le renfort d’une quatrième voiture, LM21, construite pour la circonstance. Elles se classent quatrième, cinquième et onzième. Sur les 166 Mark II produites, 21 sont des Ulster, modèle rare et magnifique qui restera comme l’un des archétypes de l’automobile de course d’avant-guerre.
2 litres – « Speed Model » « 15/98 »
Dès 1936, des rumeurs faisant état d’un moteur plus gros avaient commencé à circuler. En fait, les Sutherland, voulant développer la gamme des voitures de série, désiraient proposer un véhicule doté d’un moteur plus important. Les tensions commencent à s’exacerber entre Gordon Sutherland et Bert Bertelli. Ce dernier, conforté par ses succès en course, est peu intéressé par le développement de voitures particulières et, travaillant conjointement avec Claude Hill, construit deux prototypes pour les 24 heures du Mans 1936 mais, cette fois, équipés d’un moteur 2 litres.
Claude Hill a extrapolé son moteur à partir de son 1495 cc, il cote 78 d’alésage pour une course de 102, ce qui offre une cylindrée de 1949cc. A 5000 tr/mn il développe 98 cv. Seule différence notable, l’admission est à présent à gauche et l’échappement à droite. Les Aston Martin 1,5 l et 2 l sont ainsi faciles à reconnaître par la seule position de l’échappement.

Speed Model de 1936. Connue sous le nom de « Black Car » cette Aston Martin est une des plus célèbres, pilotée par Jock St John Horsfall en 1938, elle arriva seconde derrière une Delage 3 litres au RAC Tourist Trophy à Donnington
Les deux prototypes « Speed Model » sont équipés de freins hydrauliques et, contrairement à leurs aînées, ne suivent pas la numérotation habituelle. Elles se voient curieusement attribuer les n° G6/701/UR et G6/702/UR. Les 24 heures du Mans de cette année là furent annulés pour cause de front populaire et les voitures vendues à des pilotes privés. L’un deux, St John Horsfall, connaîtra une saison particulièrement brillante au volant de l’une d’entre elles. Mortimer Morris-Goodall remporta la coupe Rudge-Withworth aux 24 heures 1937.
Fin 1938, quelques Speed Model invendue furent re-carrossées dans un style aérodynamique un peu daté aujourd’hui. A une époque où l’utilisation de soufflerie est encore très marginale, cette carrosserie, contrairement aux apparences, n’offre d’ailleurs pas d’avantage significatif en terme de pénétration dans l’air.
Gordon Sutherland, dans l’intervalle, avait poussé le développement des versions de série plus civilisées sur lesquelles il comptait pour asseoir la viabilité économique de l’entreprise. Le nouveau modèle, basé sur le 2 litres « assagi » de la Speed Model est ainsi proposé. Baptisé 15/98 (15cv fiscaux pour 98 cv réels), c’est un élégant « Tourer » carrossé par Harry Bertelli et, pour la première fois, les ailes ne font plus parties intégrantes des roues avant, mais rattachées à la carrosserie dans un style beaucoup plus conventionnel. Aston Martin abandonne là une signature caractéristique.
Pour la première fois, d’autres carrossiers se voient confiés la tâche d’exécuter les carrosseries de ce nouveau modèle. Abbot et Park Royal carrosseront ainsi certaines Saloon, tandis qu’Abbey Coachworks réalisera un très beau cabriolet sur le châssis court.
La voiture n’est pas beaucoup plus rapide que la version 1,5 litres, en revanche, le couple disponible et l’architecture générale en font une voiture très agréable à conduire et la presse spécialisée qui l’essaye ne s’y trompe pas. Aston Martin, comme Alfa Roméo ou Lagonda, est maintenant reconnu pour ses résultats en course mais aussi pour la qualité de ses voitures de série et donc, comme un constructeur à part entière.
La 15/98 est le testament de Bert Bertelli qui ne conçoit Aston Martin qu’à travers la compétition automobile et que la fabrication de voitures de série n’inspire pas. Il démissionne à la fin de 1936.
En un peu plus de douze ans, Aston Martin aura fabriqué 618 voitures, soit environ une par semaine. Et Bert Bertelli mérite un hommage particulier car il a su faire d’un artisan, certes talentueux mais forcément condamné à une diffusion confidentielle, une entreprise dont les succès répétés en course ont définitivement assis la réputation. Son nom restera dans l’histoire de l’automobile comme celui de l’homme qui a fait entrer Aston Martin de plain-pied dans la catégorie des grands constructeurs d’automobiles de compétition de l’entre-deux guerre.
Le prochain propriétaire d’Aston Martin, Sir David Brown, le jour où il est rentré de son essai de l’Atom, ne s’y est sans doute pas trompé. Il a certainement réfléchi, au-delà de la simple logique économique présidant à la reprise de l’entreprise, au potentiel de l’héritage sportif et technique construit depuis plus de trente ans.
Soixante six ans plus tard, à l’occasion de son centenaire, les amateurs de la marque ne manqueront pas de se souvenir de ces entrepreneurs grâce auxquels Aston Martin occupe toujours une place de choix dans le panthéon automobile.
G. Ravery
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Photos : copyright Tim Cottingham – www.astonmartins.com, G. Ravery